Jamais je n’aurais pensé que ça m’arriverait!
Il en va sans doute du burnout comme de beaucoup de phénomènes très présents dans notre société: tout le monde pense savoir de quoi il retourne sans pour autant pouvoir le définir précisément. «C’est une mode, c’est une fragilité psychique, c’est la faute aux individus qui ne savent pas préserver leur équilibre, respectivement aux employeurs.» etc.
Le burnout est un processus – et non un état – qui se caractérise par une résistance souvent longue à un stress chronique au travail. Il a également pour effet de nous éloigner de nous-mêmes, si discrètement qu’on ne s’en rend pas compte. Non, le burnout n’est pas une mode. Oui, il concerne le plus souvent des personnes solides, engagées, compétentes, constructives, collaboratives. Souvent, elles ont d’excellentes capacités à s’organiser, à gérer le stress, et se soucient de maintenir cet équilibre en faisant du sport, en mangeant sainement. Jusqu’au jour où cela ne suffit plus. Il se trouve également que notre époque valorise beaucoup le stress et la performance. Ce n’est pas une critique, juste un constat. De nombreux ouvrages ont traité de la culture de l’urgence, de l’obligation de résultats, de la prescription de l’idéal en tout temps et tout lieu. Ces éléments ont aussi changé le travail. Les objectifs de productivité supplantent le plus souvent les valeurs métiers comme le travail bien fait.Dans cette perspective, on peut comprendre la notion «d’épidémie» sans juger ou critiquer ceux qui en sont atteints. Pour le dire autrement, le burnout est bien une maladie de l’idéalité mais elle frappe la société dans son ensemble.
Je suis souvent frappée du peu d’importance et d’intérêt qu’on accorde au contexte dans lequel on vit. Pourtant, c’est un aspect essentiel: connaître le terrain sur lequel on évolue, apprivoiser ses contraintes et ses possibilités pour en jouer au mieux possible. Comprendre comment on en est arrivé à cette impasse peut aussi constituer une piste intéressante, voire nécessaire, pour retrouver le chemin de la sortie et éviter de se perdre à nouveau. Je suis tout aussi souvent surprise à quel point les personnes qui me consultent progressent une fois revenues à elles-mêmes. A quel point une information correcte et précise de ce qui leur arrive est utile, rassurant, et les ramène à une analyse plus juste de leur situation et du chemin qu’elles veulent parcourir.
Le burnout n’est pas une fatalité. A l’échelle individuelle comme à celle de l’entreprise, des pistes existent pour prévenir et le cas échéant traiter. La première étape passe par la prise de conscience que ce risque nous concerne tous. Au-delà des solutions miracles - si elles existaient vous les auriez déjà appliquées - comprendre comment ce risque nous touche et où il se niche dans notre quotidien, ouvre des possibilités que vous ne soupçonnez pas (encore).
Le changement, c'est tout le temps?
«Changer de travail tous les 3 ans!», «Comment innover au quotidien?». Peut-être êtes-vous également frappés par cette exigence quotidiennement rappelée de se mettre – ou se remettre – sur le chemin du changement? Et peut-être êtes-vous également interpellés à quel point tout le monde semble innover de la même manière ou du moins être vivement encouragé à le faire: «Le management / le marketing de soi», «Organiser la créativité», etc.
Ainsi donc, la continuité, la durée, les routines seraient néfastes à notre épanouissement et à l’évolution du monde? Pourtant, à y regarder de plus près, changer constamment, ne serait-ce pas le chemin le plus sûr pour ne rien changer? Le changement a besoin de la permanence, comme la nuit a besoin du jour. Et le changement constant n’est au fond rien d’autre qu’une forme de permanence. «Plus ça change, plus c’est la même chose» soulignaient – déjà au siècle dernier! – les célèbres thérapeutes de Palo Alto1.
Ils relevaient aussi que le changement, au sens de transformation, repose sur l’inattendu, la surprise, une forme de rupture. Soit un détail auquel on n’avait pas pensé ou qu’on ne voyait pas sous cet angle. Si David terrasse Goliath, c’est justement parce que ce n’est pas un grand guerrier. Sur ce terrain Goliath n’avait pas d’adversaire. Mais Goliath n’était pas berger et il ne se doutait pas du potentiel d’un banal lance-pierres. De même, un processus qui obéit à des règles de changement ou qui «organise la créativité», aurait peu de chances d'aboutir à la métamorphose qui change la chenille en papillon. Quelle drôle d’idée! Et que penserait-on de cette merveille, si tous les 3 jours la chenille se transformait en autre chose: une coccinelle, une libellule, une abeille, un moineau? La beauté et le mystère de cette métamorphose ne valent-elles pas toute une vie?
Le changement nous est parfois imposé par des événements de vie difficiles, des transformations nécessaires. Ou parfois c'est un désir, un rêve qui nous porte ailleurs. Mais le changement ne devrait pas être prescrit, en particulier selon des règles pré-définies. Car les chemins qui y mènent sont innombrables et singuliers. La vie est plus intéressante et plus riche que nos règles purement rationnelles. Il faut parfois faire confiance au vide, remonter les courants et accepter de ne pas agir trop vite. Contenir et vivre l’intensité du moment. C’est dans cet espace et cette durée que se trouve peut-être la perle qu’on n’avait pas imaginée.
1 P. Watzlawick, J. Weakland, R. Fisch Changements, paradoxe et psychothérapie. Editions du Seuil, Paris, 1975
La minute verticale
A la faveur d'une récente conférence sur l'éthique des vertus d'Aristote, je (re) découvre que le bien souverain de la vie des hommes est la recherche du bonheur. Une recherche propre à chacun, non pas dirigée par un ensemble de contraintes et de prescriptions, mais guidée par l'aspiration à exprimer et accomplir notre nature profonde et singulière. Mais comment répondre à cette aspiration? Aristote propose quelques principes simples: définir son désir (qui est-ce que j'aimerais être?), s'entourer des bonnes personnes (celles qui vous inspirent) et changer une petite chose à la fois (le bonheur - comme le diable! - se cache souvent dans les détails). Au-delà de la performance, de l'urgence, de la productivité de biens aussitôt usés, qu'en est-il de notre quête du bien et du bonheur aujourd'hui?
En fait de quête, nous voilà plutôt comme poursuivi par on ne sait quel diable, comme si nous avions constamment besoin de fuir. Il se trouve pourtant que nous ne sommes pas des êtres strictement fonctionnels et qu'au-delà de la satisfaction de nos besoins, nous aspirons à nous élever et accéder à quelque chose de plus grand que nous. Faire en quelque sorte partie de la beauté et de l'harmonie du monde.
Par quelles inspirations passe aujourd'hui la réalisation singulière de ce que nous sommes intimement? J'aime bien reprendre à ce propos la phrase d'un autre célèbre penseur, le pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott: "N'oubliez pas de jouer, de rêver, de créer, c'est la chose la plus sérieuse du monde", nous encourageait-il. Un chemin ouvert à chacun donc, avec à chacun sa matière, son envie, sa sincérité. Le même Winnicott se plaisait d'ailleurs à relever que la créativité ne nécessite pas de talent spécifique ni travaillé, juste de l'envie. Ainsi, on peut être créatif en apprêtant une saucisse, aussi bien que dans le choix de nouveaux rideaux ou la manière de s'engager dans une journée de travail.
Si vous êtes à la recherche de ce souffle, rejoignez un lieu qui vous inspire et prenez le temps de vous demander ce qui vous porte. Pensez à la dernière fois où vous vous êtes senti heureux, authentique et serein. Et comme dirait le sage: si la réponse ne te saute pas aux yeux alors attends que la brume se dissipe.
Une belle minute
Sur la couverture, on distingue une femme perdue dans la couleur. Des teintes grises et roses dans ce qu’on devine être un bord de mer. On ressent la force de cet instant mais aussi la densité et la lourdeur d’un paysage fermé sur lui-même. La femme qui se représente ainsi c’est Catherine Meurisse, l’une des dessinatrices de Charlie Hebdo. Une femme qui a perdu la mémoire après les attentats de janvier 2015 et qui raconte comment elle l’a peu à peu retrouvée. L’ouvrage, une BD, s’intitule sobrement la légèreté. Une fois le voyage accompli, on retrouve la même femme et la même prédominance de la couleur. Assise sur un sable jaune, elle fait face à l’infini d’un horizon bleu qui se mêle à l’océan.
Que se cache-t-il donc entre ces deux univers? Le secret de l’histoire se niche dans une question posée à l’auteur: «Qu’est-ce qui vous a aidée à vous éloigner de la mort ? A ne plus l’entendre?». A quoi elle répond: «Voir. Voir la mer, des arbres, des ciels, une peinture, de la lumière.». Ce qu’a vécu Catherine Meurisse est bien sûr hors norme et difficilement représentable pour qui ne l’a pas partagé mais sa BD résonne néanmoins comme une invitation. Une envie d’aller y voir, d’explorer cet univers. Parce que le chemin est à la portée de tous, parce qu’il se décline en une infinie diversité, parce que l’époque est obscure et qu’il est utile de savoir parfois s’en éloigner. Dans quel paysage aimeriez-vous vous perdre, dans quelles couleurs? Une musique, un parfum, un mouvement, une lumière sur un visage ou la pluie sur le toit? C’est une invitation, pas un conseil, pas une prescription.
Et si la beauté était le chemin? Un chemin tracé vers le cœur, vers cette multitude de petites choses qui fondent notre équilibre et notre vérité. Catherine Meurisse raconte le sien avec une force et une délicatesse que je vous recommande. Son ouvrage contient en soi un lieu où la beauté console voire même guérit. Un chemin intime et pourtant partagée.
Dans une émission où on l’interroge sur son livre, elle évoque cette réflexion de la cinéaste Agnès Varda: «Si on ouvrait les gens, on y trouverait un paysage». Pour elle, ce serait l’océan, pour d’autres ce pourrait être un torrent, un orage sur la plaine ou le soleil qui se lève à l’horizon. Et pour vous?
Catherine Meurisse, La légereté, Dargaud, 2016
La minute blanche
En hiver, il suffit parfois d’une seule nuit pour changer de dimension. Une nuit et quelques flocons pour ouvrir un espace neuf, plus vaste et plus clair. Un espace libéré de ses limites. Pourtant, elles n’ont pas disparu et c’est toujours le même espace, celui de notre quotidien. C’est juste qu’on ne les perçoit plus, là, dans cet espace intact, que la neige a discrètement dessiné. Quel joli clin d’œil du ciel et quelle opportunité d’exercer son regard et son esprit à voir autrement. Spontanément se dire: tiens, je ne voyais pas mon univers si grand, je ne le voyais pas si ouvert.
Le début d’une année a quelque chose de cette perspective. Une page, blanche en effet, ouverte sur tous les possibles qu’on ne sait pas encore. C’est plaisant, nécessaire parfois, d’envisager les choses ainsi, loin des résolutions prescrites. Quand on n’a plus d’idées constructives, qu’on ne sait plus bien quoi ni comment faire, s’octroyer en quelques sortes des minutes blanches, des minutes en boucle et en détour. Des minutes toutes simples, pour prendre le soleil en terrasse, faire une tarte aux pommes, se mettre en chemin, un pas après l’autre et laisser faire la route. Se sentir en marche, sans autre objectif que d’être debout, le nez dans le vent. Retrouver une place dans le bel arrangement de l’univers, un espace où les idées défilent et les pensées spontanément prennent forme. Ça fait léger, un peu trop discret peut-être. Mais c’était quand la dernière fois qu’on a pris un café en terrasse, par une belle matinée ensoleillée, un jour de semaine? Comme le clame Michel Perreault (1) en titre de son dernier ouvrage: «Je ne suis pas une entreprise!» et mon cœur a besoin de battre… à son rythme, au moins de temps à autre.
Le début d’une année c’est aussi le meilleur moment pour définir des vœux, une intention, quelque chose qui nous ramène à ce qui compte. C’est donc le moment le plus opportun pour souhaiter des minutes blanches. Juste quelques-unes, pour nourrir l’inspiration de nos pensées et de nos actions à venir et se relier à l’essentiel au plus profond de ce que nous sommes.
C’est mon souhait pour aujourd’hui et pour demain, pour tous les jours de l’année à venir. Et vous?
(1) Michel Perreault, Je ne suis pas une entreprise! Guide de survie personnelle pour le XXIe siècle. Poche Marabout. Paris: 2011